L’amour, la mer
Contribution La Griffe Île de France
Rubrique Coups de coeur
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲▲
Recommandation de lecture ▲▲▲▲
Facilité de lecture ▲▲▲▲
Rapport avec le rite ▲▲▲
Le bonheur serait-il ce qui met mal à l'aise?
Pascal Quignard est un destructeur d'illusions par excellence : ainsi nous pensons tout connaître de l'amour et il nous met en garde en nous disant que ce sentiment est tellement exigeant, sans limites (comme la mer !), qu'il faut y renoncer pour ne pas courir à une déception menant à l'angoisse. Ses deux héros, musiciens, préfèrent, tout en s'aimant, vivre l'absolu de la sublimation, là où l'âme n'est pas limitée par les contingences du désir ou de la difficulté du vécu au jour le jour. Tel est le paradoxe : un impossible à atteindre et des cordes qui nous emprisonnent dans la nécessaire relation à l'autre. Seuls de courts moments autorisent les incomplètes rencontres avec le désir, suivis de la déception des corps et du langage, face à un idéal placé trop haut. L'auteur rejoint presque la fameuse formule de Jacques Lacan : « L'amour, c'est donner ce que je n'ai pas à quelqu'un qui n'en veut pas » ! Pour Pascal Quignard, aimer c'est larguer les amarres. Rester au port du quotidien, c'est connaître l'amertume, c'est faire le deuil de l'immensité. Noé n'est pas loin chez Quignard : aller à Ninive comme prophète et y risquer sa vie, très peu pour nous ! Faisons profil bas face aux exigences de la transcendance et vivons dans la perspective d'un train-train pas très exaltant, mais sécurisant. Petit calcul maladroit : la baleine nous rattrape toujours pour nous recracher à Ninive, nous mettant en face de notre réalité et de notre peur face à l'imprévu !
Les deux héros du livre s'aiment, ont soif l'un de l'autre, se croisant au gré des événements dans cette Europe du XVIIe siècle en pleine transformation. Juste le temps de se dire maladroitement la profondeur de leurs sentiments et de repartir sur l'océan de la musique, afin de trouver leur harmonie personnelle et échapper ainsi à la limitation obligatoire du désir.
Cet ouvrage est, je pense, une réflexion profonde pour un Franc-Maçon : pris comme tout un chacun dans la violence, la pesanteur du monde, la pauvreté de son langage à traduire ses sentiments, n'en prend-t-il pas distance avec bonheur en vivant dans la sublimation symbolique que lui offre la Maçonnerie ?
Sur la mer des symboles que nous apporte l'Art Royal, le Maçon, au-delà de l'Eros, rencontre l'Agapé !