Contribution La Griffe Midi Pyrénées

Rubrique Coups de cœur.

 Le monde est un couperet, une trop grande sensibilité y signe votre arrêt de mort.

Intérêt général de l’ouvrage: ▲▲▲▲▲

Recommandation de lecture: ▲▲▲▲▲

Facilité de lecture: ▲▲▲▲▲

Rapport avec le rite: ▲▲

N’en déplaise aux railleurs, ce sont les poètes de bibliothèque comme Christian Bobin qui ont fait et feront avancer l’humanité́ dans son aventure spirituelle ! Dans « Le muguet rouge » le poète retrouve en songe la figure de son père, mort en 1999, qui lui fait injonction d’aller au-devant de la part de sa famille, jusqu’alors inconnue, qui a inventé le muguet rouge. L’onirisme du poème n’est que le faire-valoir du regard prophétique du poète. Et ce livre sublime est maintenant un testament que l’humanité, en se révisant, devra exécuter. Lautréamont avait raison : la poésie a une utilité pratique. Ici, Christian Bobin m’aura d’abord mis en garde contre la sacrosainte modernité. Il tempère le : « il faut absolument être moderne » du très jeune Rimbaud par cette assertion : « La modernité est le crime parfait - même le mort ne s’aperçoit pas qu’il est mort. ». Cet amoureux des arbres s’est retiré́ de lui-même pour laisser venir à lui l’écriture. « Et voici qu’elle me le rend au centuple » s’émerveille-t-il. Toute la poésie de Christian Bobin est une éthique de vie où la dramatique finitude humaine « nous crée un devoir envers ceux qui nous ont précédés ». Jamais un poète en si peu de pages nous aura légué un constat aussi lucide.

 

Cette vraie arme de la poésie qui ne touche que par les salves de la parole, cette lucidité, est celle de la prophétie poétique qui échappe totalement à ceux qui s’arrogent le droit de nous gouverner. Ceux-là sont bien dans le monde de l’illusion : « Opinions et discours sont des fientes chaudes sur la paille électronique. ». La parole poétique, elle, est un raccourci lumineux vers la réalité. Elle condense tout le travail d’Hannah Arendt sur la banalité du mal en deux phrases : « Hitler n’était personne. Il était juste la totalité des gens qui le suivaient. » Et puisque « la vie n’est qu’un bivouac » il ne restait à notre plus grand poète français qu’à habiter le seul monde possible pour ce grand ochlophobe, celui du poème : « Je n’ai jamais rien su faire dans le monde que m’asseoir sur les marches d’un poème et mendier. » Christian Bobin, décédé le 24 novembre 2022, nous lègue un testament spirituel qui a déjà sa place dans l’histoire éblouissante de la poésie française. C’est un pur chef-d’œuvre !

 

 

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