SUR L’IMAGE QUI MANQUE À NOS JOURS
Contribution La Griffe Île-de-France
Rubrique Métaphysique
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲▲▲
Facilité de lecture ▲▲▲△△
Rapport avec le rite ▲▲△△△
Pascal Quignard commence fort, comme à son habitude, par une citation de Cicéron sur le désir, tirée de Tusculanes IV : « Desiderium est libido vivendi ejus qui non adsit », ce qui peut se traduire par : le désir est la libido de voir quelqu'un qui n'est pas là. La desideratio se comprend comme la joie de voir, malgré l'absence, l'absent. Pas de désir sans absence de l'objet désiré.
Ce constat, pour Quignard, est à la base de l'œuvre artistique, mais aussi de toute relation humaine. Sur les murs de Guernesey Victor Hugo avait écrit partout : « Absentes adsunt », les absents sont présents, les morts sont là. Nous n'aimons que des fantômes. Existe un profond désir de ne pas voir le réel qui fait voir l'image.
Concernant la peinture dans l'Antiquité, elle n'est pas une représentation parce qu'elle est encore une embuscade qui observe les éléments qu'elle met en place sans qu'elle les assemble encore. C'est un guet avant l'action, c'est à dire un processus avant la mise à mort du réel. Mais on ne peut pas comprendre une peinture si on ne connaît pas la langue du peintre : à l'image du rêve, il faut parler la langue du rêveur pour comprendre les images qu'il produit et qui se juxtaposent dans son sommeil.
C'est ainsi que la peinture antique n'illustre jamais l'action qu'elle évoque : elle évoque le moment qui précède. D'où l'usage de la pensée et de la méditation, du discernement (En grec Mermèrizo, penser, c'est être divisé en deux options plus ou moins égales). La méditation ne serait qu'une grossesse, dont l'enfant est la pensée.
C'est ainsi que dans chaque fresque ancienne une image particulière manque dans l'image particulière et la beauté se tient résolument en amont de l'épiphanie ce qui fait que l'anecdote n'est jamais montrée. L'art est une entéléchie, c'est à dire ce qui rend possible l'accomplissement d'un possible au sein d'autres possibles. L'instant de la peinture est celui de cette hésitation dans les possibles au sein d'une image qui ne les accomplit pas, qui est impuissante à les représenter et nous oblige à entrer dans le « futur de son passé ».