LES LIENS ARTIFICIELS
Contribution La Griffe Hypatie
Rubrique Coups de cœur.
Pour les âmes ouvertes au charme du néant
Intérêt général de l’ouvrage: ▲▲▲▲
Recommandation de lecture: ▲▲▲▲
Facilité de lecture: ▲▲▲▲▲
Rapport avec le rite: ▲▲▲
Nathan Devers, 25 ans, normalien, agrégé de philosophie sort le metavers de son existence numérique pour le faire entrer en littérature et nous offrir avec LES LIENS ARTIFICIELS une brillante dystopie où internet devient le démiurge de nos existences entre virtuel et réel. Difficile d’échapper au metavers, cet univers virtuel immersif, nouvelle version d’internet en 3 D, depuis que Mark Zuckerberg a décidé de regrouper ses réseaux sociaux (Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger) dans une entreprise baptisée Meta et d’annoncer : « même si le metavers est virtuel son impact sera réel » en promettant au passage d’y consacrer 10 milliards de dollars dans les dix prochaines années. Bien malin qui peut dire aujourd’hui si les metavers vont réellement bouleverser, comme le prédisent les apôtres de la Silicon Valley, les univers de la culture, de la santé, de l’éducation, à grand renfort de cryptomonnaies mais il fallait à cet univers qui émerge un récit inspiré pour lui trouver un sens, au moins romanesque. Dans le metavers de Nathan Devers baptisé Heaven, son héros, Julien Liberat désabusé du quotidien, pianiste frustré, amoureux délaissé, vivote à Rungis et trouve derrière son écran une nouvelle raison de vivre et…de mourir au travers de l’avatar qu’il s’est construit : Vangel.
On croise un gourou de la data en pleine crise messianique, Gainsbourg, Finkielkraut, Beigbeder, les personnages et les excès d’une humanité médiatique avide de reconnaissance, faite de smileys et de liens artificiels.
Belle plume et tête bien faite, Nathan Devers conduit avec virtuosité un roman fable, le récit d’une génération ultra connectée face à la menace de se perdre dans « l’antimonde », cet univers « au-delà » qui aujourd’hui n’a plus rien de fictionnel mais s’impose comme une réalité, car plus que jamais si nous ne pensons pas le numérique, le numérique pensera pour nous.
Des Évangiles à Platon en passant par Marx, le désir d’aller au-delà de sa matérialité, de sublimer le quotidien, d’atteindre le paradis des dieux, des idées ou du collectivisme, a toujours irrigué les civilisations. Internet, désormais architecte de nos vies digitales, pour le meilleur et souvent pour le pire, a décidé de s’arroger la place de la providence divine.
Avons-nous d’autre choix aujourd’hui que d’agir pour ne pas subir et ne pas faire du pavé mosaïque le miroir de nos impuissances ?