MOURIR IDIOT
Contribution La Griffe Lorraine
Rubrique Coups de coeur
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲△△
Facilité de lecture ▲▲▲▲▲
Rapport avec le rite ▲△△△△
Gibeau (1916-1994) n’a pas eu la chance, comme Céline, d’avoir un passé sulfureux, c’est même le contraire. Il devrait y avoir une flamme aux écrivains oubliés et méritants. Enfin, méconnus, pas tant que ça, puisqu’« allons z’enfants » fut un succès , mieux, un fer rouge pour toute une génération. Ensuite le silence, pendant vingt-cinq ans, puis ce « mourir idiot » (pléonasme) en 1988… Je simplifie.
Teigneux et tendre au fond, fierté et modestie, ce misanthrope de Gibeau, bref insupportable, écorché vif, revenant ici sur sa vie, au point pour être, par honnêteté, raccord et racheter le presbytère de son patelin d’enfance, à deux pas du Chemin des Dames, lui l’antimilitariste et l’anti curé.
Gibeau au milieu des champs de betteraves, à l’ombre d’une église hideuse avec son Godin qu’on allumait à la limite et seulement aux enterrements « pour pas avoir un mort de plus pendant la cérémonie ».
Alors heureux ? L’enfer plutôt ! Qu’est-il allé se jeter dans la gueule du loup ? Sachant bien depuis qu’il les avait quittés pour les Enfants de Troupe, « qu’ils s’étaient pas améliorés les bouseux méfiants et cupides, les suffisants de patelin, les institutrices qu’ont jamais lu un livre, jusqu’aux épiciers allergiques aux sentiments… »
Et ainsi tout à vau-l’eau. Ce serait tragique si l’auteur ne se distanciait pas, ce recul du sourire (jaune le sourire) face aux fourberies, bassesses, à ces autorités d’ignorants, ces cassites rétrogrades, et ces brutes se pensant innocents.
Bref, ç’est noir et tellement, que ça nous glisse sur les plumes. J’ai compris qu’il l’avait appelé roman, son déroulé de vie, par charité. Pour nous protéger de ce bouquin méchant. Trop de profonde bêtise, de gloriole, de lâcheté, de saloperies de cœur…
La vie ne plie jamais la page au bon endroit.
Je le recommande pour l’intelligence, l’alerte écriture, la finesse des situations, le décalage permanent sans illusions, la facétie enfin.
Le monde aujourd’hui est-il le même, ou bien pire ? Si à contresens…
Alors, tout ça pour quoi ? Mourir idiot ? Au moins mourir lucide, en vrai mécréant.