RAVELSTEIN
Contribution La Griffe Île de France
Rubrique Hors-Normes
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲▲▲
Facilité de lecture ▲▲▲△△
Rapport avec le rite ▲▲△△△
Je confesse une certaine tendresse pour la littérature juive nord-américaine contemporaine (Paul Auster, Bashevis Singer, etc…) : écrits rédigés toujours « en décalé », en miroir, avec un autre inconscient qui se balade dans la nouvelle implantation, forcément étrangère, à laquelle il est obligatoire de s'adapter, en refoulant le vent du souvenir qui souffle d'Europe centrale ou de Russie. Un peu comme s'il s'agissait d'une transplantation cardiaque permanente où fonctionne un organe différent de celui d'origine : « le cœur charrie tant de connotations ; c'est le siège des émotions d'un homme-de sa vie supérieure ».
Mais un rien fait rejaillir le passé à-travers le souvenir ou celui de l'environnement auquel on continue de s'agripper. Avec un impérieux besoin de diviniser quelqu'un qui représente le milieu marginal et qui a « réussi », à qui à la fois, on demande protection et envie de vous aider à échapper aux contraintes insupportables qu'il faut sans cesse négocier. Quadrature infernale du cercle !
Le narrateur, Chick, décrit sa propre fascination pour Ravelstein, philosophe universitaire brillant (« Pour étudier avec Ravelstein, il fallait lire son Xénophon, son Thucydide et son Platon dans le texte »). C'est aussi un personnage monstrueusement narcissique et manipulateur, dont Chick à besoin en projetant sur lui des qualités dont Ravelstein est dépourvu et qui proviennent surtout de son admirateur, « L'âme de l'autre est une sombre forêt, comme disent les Russes ».
Ce besoin d'un Sauveur, n'échappe pas à la lucidité de l'auteur et il ne manque pas de deviner les failles et les limites du personnage déifié. Cette limitation trouve d'ailleurs sa finalité dans la mort de Ravelstein lui-même que ce dernier d'ailleurs met en scène, dans une théâtralité finale grotesque. Que reste-t-il à l'homme quand « Dieu est mort » ? Mourir soi-même bien entendu, comme pâle imitation de l'idole finissante. Chick, très gravement malade, aura la lucidité de s'en sortir grâce à l'amour de sa femme, rejetant aux gémonies l'image sombre de son « héros » qui n'était que l'objet de ses projections.
Tantôt sombre, tantôt d'un humour féroce, Saul Bellow, nous dit que, finalement, on ne passe sa vie qu'en la vivant ou en l'imaginant, à-travers des fantômes...