Le Chat du RabbinTome 12 « La traversée de la mer Noire »
Contribution La Griffe Lorraine
Rubrique BD
« J’étais l’aumônier préposé aux Juifs. Quand il n’y en eu presque plus, je devins le prêtre des arabes ». Et pour les Chrétiens ? « Ils ne veulent pas gâcher un bon curé pour nous autres. Ils en ont besoin pour les Bretons et les Belges »
Recommandation de lecture: ▲▲▲▲▲
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲▲▲
Facilité de lecture ▲▲▲▲▲
Rapport avec le rite ▲▲▲
Port d’Alger, les années 30. Les anciens se racontent leur guerre, la Grande.
Le Chat du Rabbin bien sûr écoute et nous raconte :
Paris avant-guerre, seul endroit où deux musiciens venus d’Alger peuvent jouer parce qu’à Paris « on n’est plus noir, on n’est plus juif ».
Les voilà mobilisés (« Reviens vivant sinon ta mère elle te tue ! »), pressentant le lourd tribut que les colonies allaient verser à l’armée française, sacrifiant les « indigènes » sur l’autel d’une mère-Patrie, qui se disait la leur mais qui s’empresserait de les oublier à l’heure de compter les morts et de partager la gloire.
Voilà nos musiciens embarqués dans des bataillons où l’on regroupait d’un côté « les bougnoules » et de l’autre « les nègres ». Et notre Rabbin comme aumônier des soldats juifs,
Sfar nous emmène ensuite sur les bords de la Mer Noire. Gallipoli, l’autre Verdun. « Pour tuer au nom de la France des Turcs qui ne nous ont rien fait et… qui meurent pour l’Allemagne ».
Puis à Odessa dans cette Crimée déjà maudite, où la révolte gronde parmi les soldats et débouche sur un massacre. « Je prie au milieu des cadavres de tous les pays. C’est ça L’Internationale. » dit le Rabbin. Macabre incursion au cœur de la guerre féroce entre les Rouges et les Blancs.
L’humour de Joan Sfar, heureusement, est là, même au cœur de l’horreur, pour sauver ce qui reste à sauver, c’est-à-dire la dignité.
Et un peu de légèreté (est-ce vraiment de la légèreté ?), puisque nous apprenons que le Rabbin avait déjà eu un chat dans sa vie. Et voilà notre célèbre minet fou de jalousie quand il apprend l’existence d’un Ex. Le Rabbin a beau le rassurer en lui disant que ce chat-là ne savait « ni lire ni écrire », rien n’y fait…
Sfar nous maintient en équilibre subtil, sur un fil, tendu sur l’abîme entre le sourire et les larmes, l’émotion et la colère, le fatalisme et la révolte, le meilleur et le pire.
Un voyage dans l’Histoire qui nous renvoie à la cruelle Géographie des larmes, de toutes les larmes, qu’elles coulent en Ukraine, en Arménie, en Israël, en Palestine ou ailleurs.
Un album moins métaphysique que les précédents, mais plus poignant, car il nous renvoie à notre dette envers l’Humanité, même et surtout lorsque nous sommes confrontés aux abominations dont elle est seule capable.
Un Grand Cru.