« MANIFESTE INCERTAIN » TOME 9
Contribution La Griffe Midi-Pyrénées
Rubrique Coups de coeur
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲▲△
Facilité de lecture ▲▲▲▲△
Rapport avec le rite ▲▲▲△△
Il y a longtemps que nous avons dépassé nos origines et oublié l’influence de l’instinct. Nous naissons dans la culture, l’apprentissage et la confrontation à l’autre. Nous devons d’emblée piller le monde qui précède.
Cette évidence, personne mieux que Fernando Pessoa ne m’en a convaincu. Au-delà̀ de voler comme tout homme de culture le patrimoine littéraire, il volait de plus fort l’identité́ sociale, psychologique et artistique de ses contemporains fantasmatiques, ses 383 hétéronymes.
Impatient de lire les pages que Frédéric Pajak consacre à cette bombe atomique de la littérature dans ce dernier « Manifeste », je ne m’attendais pas à un tel plaisir de découverte.
Ce livre magnifique nous fait visiter les émois de l’auteur, sur Pessoa bien-sûr mais aussi sur Benjamin Constant et sur sa propre vie, tissée de voyages, de rencontres.
Les paradoxes et volte-face de ce génie du XX° siècle s’exposent dans une pédagogie et un style brillant. Il y est précisé, par exemple, que Pessoa, épris d’ésotérisme prit fait et cause contre la loi de Salazar qui avait dissout les sociétés secrètes afin d’extirper les francs-maçons de toutes les sphères du pays. Très influencé par les ordres initiatiques, par leurs langages cryptés comme par leurs rituels, mais toujours paradoxal, il révèlera à son ami Casais Monteiro n’avoir jamais appartenu à aucun ordre initiatique, quel qu’il soit.
Pajak relate aussi un épisode qui révèle l’humour particulier de Pessoa. En 1930, il organise le faux suicide de Aleister Crowley. Il fait croire que celui-ci se serait noyé et laisse découvrir un étui à cigarettes et une lettre destinée à Hanni, la maîtresse de Crowley. Entre-temps, Crowley ayant rejoint Hanni en Allemagne Pessoa devra avouer à la police qu’il est l’auteur de la mascarade.
L’énigme du génie mélancolique, fantasque de Pessoa, homme solitaire vivant chichement et alcoolique dans les dernières années de sa vie, alimentera les chroniques littéraires encore longtemps, et c’est heureux !
Ce livre est une merveille par l’attrait des dessins de l’auteur, l’aspect baroque des récits personnels mais d’une parfaite clarté. Œuvre d’un artiste lourd et renforcé d’expériences de la vie qui ont décuplé sa lucidité́, il jette sur notre monde le regard perçant du vieux sage qu’il est devenu par les accidents de la vie, l’errance, la durée. Un livre saisissant dont la valeur esthétique est gage d’un surcroît de plaisir.