DERRICK ET MOI. MES DEUX VIES
Contribution La Griffe Lorraine
Rubrique Coups de coeur
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲△△
Facilité de lecture ▲▲▲▲△
Rapport avec le rite ▲△△△△
Horst Tappert a eu une vie avant Derrick. Une vie irrémédiablement marquée par la guerre et une grave blessure sur le front de l’est. Une vie jalonnée par une carrière théâtrale, inaugurée par un prestigieux répertoire allant de Brecht à Faust. Comédien respecté, il établit solidement sa notoriété à la radio, puis à la télévision, jusqu’à ce jour de mai 1973, où l’on vint le chercher pour tourner le rôle-titre d’une série policière allemande : Derrick.
Série emblématique des années 80, elle s’est rapidement imposée de par la qualité de ses enquêtes, de son atmosphère et du désir affiché de coller un maximum à la société et aux préoccupations d’une époque marquée par le chômage et l’addiction à la télévision.
Nonobstant un monde interlope à la lumière glauque, habité d’une musique improbable, loin du luxe des séries américaines, force est de constater l’incroyable richesse de la série dans laquelle tous les milieux sont représentés et où le manichéisme n’est pas de mise. Debout dans son misérable bureau, Tappert épura le vocabulaire du roman à énigmes, pour ne retenir que la dimension de l’affrontement psychologique entre Derrick et le meurtrier. C’est là où réside toute la force de cette série.
Dans cette autobiographie, Tappert a passé sous silence les deux années où il était engagé dans les Waffen-SS, organisation criminelle connue pour les atrocités commises sur les civils et les prisonniers. Un passé qui, année après année, devenait sans doute pour lui de plus en plus dépassé au point qu’il ne lui apparaissait plus comme le sien. Le confort de la discrétion et la commodité du silence lui sont apparus comme une solution de repli, qu’il a cultivé durant sa gloire médiatique et jusqu’à sa mort en 2008. Ironie du destin, il s’est éteint quelques mois à peine après Herbert Reinecker, créateur de Derrick et romancier déchiré de l’intérieur qui ne s’est jamais remis de son rôle dans le national-socialisme. Toute son œuvre, fondée sur la lutte contre le chaos et sur le sentiment que chacun serait un meurtrier en puissance, s’en ressent profondément.
Respecté ou brocardé, Horst Tappert restera à jamais celui qui incarna l’inspecteur Derrick, héros d’une série télévisée allemande qui demeure immuable, inaltérable, fidèle à elle-même, avec une sobriété qui, au lieu d’énerver les téléspectateurs d’âge souvent mûr, les fascinaient tant cette série policière venait apposer sur le fil angoissant du temps qui passe son rassurant immobilisme.